Le pouvoir et la liberté, fable animalière.

Dans Le château des animaux, le peuple, sous la domination d’un tyran sans pitié, cherche une solution non violente pour renverser le régime.
Xavier Dorison revisite La Ferme des animaux de George Orwell pour signer une grande fable politique aux thèmes très contemporains, superbement mis en images par Félix Delep qui signe ici sa première bande dessinée, avec un talent indéniable.

Dans une ferme depuis longtemps abandonnée par les hommes, sans que l'on sache pourquoi, les animaux livrés à eux-mêmes ont pris leur place, leurs règles, leurs lois et… leurs travers. Le président à vie Silvio, un monstrueux taureaux secondé par une milice de dogues, règne en maître. Il exploite ses sujets en les terrorisant, les contraignant à des travaux épuisants. Pas question de se rebeller, car la répression est sanglante. Miss Bangalore, une chatte, un lapin et un rat vont unir leurs forces pour tenter de renverser le pouvoir.

Premier tome d'une série prévue en quatre volumes, Le Château des animaux est une critique de société intemporelle, violente et picaresque. Tout en rendant hommage à l’œuvre de George Orwell, Dorisson la replace dans le contexte actuel. Avec une écriture et des dialogues ciselés, le récit est captivant, bien rythmé et bien construit.

Grâce aux ambiances de la coloriste Jessica Bodard et au dessin bouillonnant de vie de Félix Delep, l’immersion est totale. Le dessinateur parvient à donner du caractère à chacun de ses personnages qui sont plus vrais que nature. Leurs expressions et leurs mimiques ont un petit côté Disney qui les rendent terriblement attachants. Les animaux sont mignons, mais Le Château des Animaux n'est pas une bande dessinée pour enfants : le dessin est dur et réaliste.

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Qui cherche trouve.

L’inspecteur Émile Farges, dit le Trouveur, est capable de débusquer n’importe qui. Mais ce don va lui coûter bien cher...
Avec Un destin de Trouveur, Gess nous transporte dans le Paris de la fin du XIXe siècle, dans un récit picaresque dense, mâtiné de fantastique, façon super comics à la française.

Paris, 1898. Émile Farges peut localiser quiconque en jetant un caillou sur une carte. Il travaille pour la police qui utilise son don. Il met également son talent à la disposition des Sœurs de l’Ubiquité, des féministes anarchistes qui aident les femmes victimes des hommes. Pour le convaincre d’obtempérer à retrouver sa fille et son épouse enlevées, un chef de gang prend en otage sa femme, une des Sœurs de l'Ubiquité, et son enfant...

Sur fond de lutte des classes, ce récit épique rappelle les grands feuilletonistes du 19ème siècle. Le dessin colle admirablement au propos, les décors fourmillent de détails et les couleurs traduisent bien cette époque. Avec ses pages tâchées sur les bords, on a l'impression de lire un livre vieux de plus d'un siècle.

Un album envoûtant à l'univers complexe et intriguant qui se dévore !

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Parenthèse enchantée.

Cinq ans après son fauve d'or Come Prima, Alfred signe une nouvelle pépite, Senso, où il imagine un tête à tête sentimental entre deux âmes esseulées.
On se laisse entraîner avec bonheur dans des scènes baignées d’onirisme, durant une nuit italienne magique, teintée de sensualité et de douceur. Un album inattendu, cocasse, plein de charme.

Digne d’une comédie à l’italienne, l’album joue sans cesse sur le comique de situation. On suit cet anti-héros du quotidien, désœuvré et attachant, durant toute une nuit, une nuit pleine de rencontres, de saynètes drôles, intrigantes, et de remises en question. Une ambiance particulière parcourt l’histoire. On plonge hors du temps, dans un magnifique parc labyrinthique où l’on aimerait s’y perdre, voir, écouter, prendre le temps, respirer la nuit, tant l’album invite à la contemplation et à la mélancolie.

Les planches sont extrêmement sensitives et foisonnantes. Le dessin prend souvent toute la place pour nous plonger dans ses magnifiques et envoûtants décors.

Une belle BD, romantique à souhait.

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Que léguerons-nous à nos enfants ?

Ugo Bienvenu
imagine un monde où la mémoire numérique sature et où la culture disparait par manque de place.
Succédant à Moi ce que j'aime c'est les monstres, Préférence système, dystopie réaliste aux résonances actuelles qui fait froid dans le dos, est sacré à son tour Grand Prix 2020 de l’ACBD.

Dans un futur proche, il est devenu impossible de stocker tous les datas produits quotidiennement par les humains. Pour remédier à ce problème, des agents sont chargés de supprimer ce qui n’est plus nécessaire, c’est-à-dire ce qui ne fait plus d’audience. L’agent Yves ne peut se résoudre à détruire certains livres, films, chansons ou poèmes, qu’il sauvegarde clandestinement pour les protéger de l’oubli. Il les stocke dans la mémoire de Mikki, son robot domestique.

Avec une esthétique rétro pop art, très froide, en parfaite adéquation avec l’histoire, Ugo Bienvenu réalise un album qui porte réflexion sur la mémoire et la transmission, tout en étant une ode à la création artistique et un thriller qui nous tient en haleine jusqu’à la fin. Quels critères peuvent définir ce qui doit être préservé ou détruit ? Que lègue-t-on aux générations futures ?
Captivant, inquiétant et pertinent, l’album provoque aussi l’émotion.

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In Moonlight Black Boys Look Blue

 

 

moonlight1 Adapté d'une pièce de théâtre de Tarell Alvin McCraney, Moonlight, le deuxième film de Barry Jenkins, évoque en trois temps la vie de Chiron, un afro-américain dans un quartier pauvre de Miami et la découverte de son homosexualité. 

Enfant, élevé par une mère junkie et martyrisé à l'école, il rencontre Juan (le fournisseur de crack de sa mère) qu'il voit pourtant comme un père de substitution. A la mort de ce dernier seul Kevin son camarade lui offre son amitié.

Adolescent, il subit sans rien dire le harcèlement quotidien d'une bande de sa classe qui pousse Kevin à le frapper mettant à mal les sentiments naissants qu'il éprouvait à son égard. Furieux et et désireux de se venger il abat une chaise sur le meneur, et part en détention.
On le retrouve dix ans plus tard à sa sortie de prison. Métamorphosé physiquement, devenu dealer, il retrouve sa mère puis Kevin.

Les trois comédiens filmés à fleur de peau incarnent avec brio, les souf rances et la sensibilité de Chiron. Barry Jenkins emprunte les codes du film de genre pour mieux les casser, dépeint les personnages avec délicatesse et nuance ; sa mère, les dealers sont directement inspirés de son histoire personnelle. Le choix de la bande-son variant du hip hop au classique souligne les moments violents ou romantiques, voire lyriques. Un film limpide et lumineux.