Un chasseur de miel au secours d’une œuvre d’art.

Entre conte moderne et chronique contemporaine, Une maternité rouge raconte l’odyssée tragique d’Alou qui, de son village malien à Paris, risque sa vie pour amener en lieu sûr une sculpture dogon au musée du Louvre.
Sur fond de préservation du patrimoine et d’émigration, Lax nous offre un album superbement mis en images qui mérite bien sa place dans cette collection dédiée au Louvre.

En 1960, à la veille de l’indépendance malienne, les colons profitent de ces derniers instants pour piller les richesses du pays. Choqué, un jeune garçon parvient à reprendre une statuette, appelée Maternité Rouge, qu’il cache dans un Baobab… De nos jours, Alou, chasseur de miel, retrouve la sculpture après que des djihadistes aient fait exploser ce même arbre. Il la montre à un sage qui reconnaît aussitôt cette maternité rouge qu'il avait voulu protéger il y a bien longtemps. Pour la préserver des fanatiques, le sage lui demande de la confier au Musée du Louvre où elle sera plus en sécurité. Traversant le Mali, la Libye, l’Italie puis la France, Alou emprunte le dangereux parcours des migrants pour rejoindre Paris.

Utilisant une palette grise et délavée rehaussée de douces couleurs pastel, Lax nous offre des paysages et des scènes silencieuses de toute beauté. Son dessin fouillé s’attache aux visages, aux attitudes des corps, nous immerge dans de magnifiques décors, nous donne à ressentir le soleil brûlant, la terreur des migrants à bord de frêles embarcations…

Tout en respectant le cahier des charges de la collection dédiée au Louvre, Lax aborde le sort tragique des migrants fuyant misère, guerre, terrorisme… dans l’espoir d’une vie meilleure et leur mauvais accueil. Il évoque le pillage de l’art africain à l’époque coloniale, la destruction du patrimoine par des extrémistes, la préservation de ces œuvres par les musées et la place de l'art : l’art est-il plus précieux qu’une vie humaine ?

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Quête d’identité.

Jung, l’auteur de Couleur de peau : miel, revient avec un thème qui lui est cher : l’adoption. Babybox suit les pas d'une jeune coréenne qui découvre, à la mort de sa mère, qu’elle a été adoptée.
Un album sensible, sincère, magnifiquement et délicatement illustré.

D'origine coréenne, Claire Kim a tout pour être heureuse. Une famille unie, un petit ami avec qui elle souhaite avoir un enfant, un petit frère attachant, un boulot dans le restaurant de son père. Et pourtant quelque chose au fond d’elle, un petit arrière-goût de tristesse, incompréhensible et insidieux, l’empêche de profiter pleinement de la vie. Un accident de voiture coûte la vie à sa mère et laisse son père dans le coma. En préparant les documents pour les obsèques, elle découvre qu’elle a été adoptée. Tous ses repères s’effondrent. Pour en savoir plus et découvrir qui elle est vraiment, elle part à Séoul.

Cette histoire intimiste pleine de tendresse et d'émotions fortes prend son temps et sonne juste. Au-delà de la recherche de ses origines, l’auteur explore, comme il sait si bien le faire, le sentiment d’abandon. Il évoque également la babybox, un sas sécurisé où les mères peuvent abandonner leurs bébés dans l'anonymat et qui existe réellement à Séoul.

Renforçant encore plus l’histoire, le dessin de Jung est léger et doux. Il mélange différentes techniques, encre, aquarelle et crayonné en noir et blanc parsemé de délicates touches rouges. Un minimum de décors, des plans larges, des gros plans, des personnages apparaissant sous forme de silhouettes, la véritable mère de Claire errant comme un fantôme, tout concoure à servir le récit et à l’enrober de poésie.

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Insoumise, féministe, espionne et surnommée la Hyène de la Gestapo.

Violette Morris
, championne toutes catégories, lesbienne assumée, accusée d'être une espionne de la Gestapo, a vraiment existé et défrayé la chronique des années vingt.
Premier volet passionnant sur cette légende du sport signé Kris et Bertrand Galic, sur un dessin de Javi Rey.

Pas très gracieuse, souvent désagréable, mais battante et courageuse, Violette Morris n’a eu de cesse de braver les interdits et de s’imposer dans des activités jusqu’alors réservées aux hommes. Sa devise : « Ce qu'un homme fait, Violette peut le faire ». Elle fut l’une des sportives la plus titrées de l’histoire en boxe, football, athlétisme, course automobile…. Lesbienne, féministe, amie de Jean Cocteau et de Joséphine Baker, elle se fiche de l’opinion générale et effraye la bonne société. Accusée de collaboration avec les nazis, elle trouve la mort dans une embuscade organisée par la Résistance. Son amie d’enfance, fictive, soupçonne que son assassinat est dû en réalité à sa façon de vivre et tente de lever le voile sur cette histoire troublante.

Entre enquête policière et biographie, les auteurs se lancent sur la piste de cette athlète hors norme des années 30. A-t’on voulu tuer la collabo ou la femme trop libre pour son époque ? Ils parviennent à la rendre humaine et dressent un portrait ambigu, tout en finesse, de Violette. Au dessin, Javi Rey réalise une bonne restitution de l’époque et sa mise en page est particulièrement dynamique.

La lecture de ce destin, aussi troublant que sombre, est prenante, et donne efficacement envie de lire la suite…

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Lady Macbeth dans les Appalaches.

Dans les années 30, un couple sans état d’âme, poussé par le désir de s’enrichir, entend bien exploiter jusqu’au dernier tronc d’arbre les bois des Smoky Mountains.
Adaptation du roman éponyme de Ron Rash par Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg, Serena est à la hauteur de ce puissant roman noir : une fascinante et cruelle héroïne liée à la vie et à la mort à son mari dans une fresque impitoyable d’une Amérique sauvage et sans loi.

La belle Serena vient d’épouser George Pemberton, un riche propriétaire forestier. Ce couple infernal est déterminé à déboiser jusqu’au dernier arpent de bois les forêts dont Pemberton a hérité, en dépit du projet gouvernemental d’y créer un parc national. Leur tâche est facilitée par la crise des années 30 : les ouvriers qu’ils traitent en esclaves sont prêts à tout accepter pour nourrir leur famille.
Chevelure rousse, regard noir, cavalière hors pair, Serena impose le respect par sa connaissance des arbres et va se révéler d’une perversité plus grande que celle de son mari. Accompagnée d'un aigle perché sur son bras et son effrayant homme de main, la jeune femme ne recule devant rien pour réaliser ses ambitions (ou une sourde revanche?)...
Cette quête de pouvoir se transforme vite en folie meurtrière et laisse la terre à nu.

Les auteurs livrent une adaptation exemplaire, à la fois libre et fidèle, du roman de Ron Rash. Ils restituent avec beaucoup d’authenticité les conditions de vie et le climat des Appalaches dans les années 1930 et montrent comment des êtres humains peuvent devenir des monstres par simple avidité. Les personnages sont intenses et pas seulement Serena à qui on imagine un passé d’autant plus trouble et violent que la jeune femme révèle une noirceur toujours plus prononcée au fil du récit. La narration portée par une tension tendue au couteau nous tient en haleine tout au long du récit.

Le dessin épuré, sombre, expressif, au trait charbonneux et les décors à couper le souffle d’où se détachent la chevelure flamboyante et le cheval blanc de Serena, contribuent à reproduire l’ambiance noire du roman. Les gros plans sur le regard noir et hostile de Serena vous percent et font froid dans le dos.
Coup de cœur pour ce récit glaçant d’une profonde noirceur.

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Des mêmes auteurs, nous avions bien aimé les remarqués L’Astragale, La Lionne et Le Roi des scarabées, également chez Sarbacane.

Chasse à l'homme.

Pour son entreprise Jacques Ramirez est un employé modèle. Pour la mafia mexicaine il est un dangereux tueur à gages.
Dans ce premier volet de Il faut flinguer Ramirez, Nicolas Petrimaux rend hommage aux polars des années 80 et réalise un récit joyeusement déjanté et trépidant.

Falcon City, Arizona. Jacques Ramirez travaille au service après-vente de la société Robocop, une entreprise d'électroménager, leader de l’aspiration des poussières. Discret, ponctuel, appliqué et d'une gentillesse rare, il a un talent incroyable pour réparer les aspirateurs. On dit même que c'est le meilleur. Sa vie bascule le jour où deux membres d'un dangereux cartel mexicain pensent le reconnaître comme étant un assassin redoutable et redouté . Est-il celui qu'il paraît être ? Les deux mafieux vont passer leur temps à vouloir l’éliminer !

Pour sa première bande dessinée Petrimaux propose un cocktail détonnant sans temps mort, empli d'humour absurde (les scènes d’admiration pour les produits Robotop et les fausses pubs sont truculentes), de références, de dialogues incisifs et de tous les ingrédients du film de gangsters et d'action des années 80 : un cartel mexicain, des explosions, des femmes fatales, des scènes de poursuites en voitures endiablées...

Cet album est aussi une belle réussite visuelle. Les dessins sont hauts en couleur. Avec un trait légèrement caricatural, la galerie de personnages vaut le détour : des hommes de main patibulaires stéréotypés, le héros, muet, a tout sauf la tête de l’emploi avec ses pantalons trop courts et sa coupe afro.
Un polar explosif et drôle dans la veine des films de Tarantino et des frères Coen ! On se régale.

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Les 400 coups à Orlando

the florida projectSean Baker, jeune réalisateur indépendant a situé son troisième long métrage, The Florida project, dans l'univers des motels d’Orlando qui abritent une population déshéritée.

En périphérie d'Orlando, Moonie 6 ans vit en toute liberté au Magic Castle, un motel au nom féerique qui abrite la hidden homelessness, toute une population de laissés pour compte et précaires. Flanquée de ses deux copains Scooty et Jancey, elle fait les quatre-cents coups et vient lorgner du côté de Disney World. Halley, sa mère, une femme enfant, ne sort de sa chambre que pour faire la fête ou gagner de l'argent pour payer son loyer. En cas de bénéfice elle entraîne sa fille dans une orgie de produits sucrés et d'achats compulsifs.Seul Bobby (formidable Willem Dafoe), le manager, se distingue par son sens des responsabilités et fait figure de modèle paternel.
Dans cet univers rose acidulé, les personnages cachent derrière leur insouciance un mode de vie à l’opposé d'un conte de fée. Sans jamais les condamner ni les juger le jeune réalisateur sait distiller peu à peu la menace qui plane sur eux. Sans pathos il filme l'énergie vitale des enfants (non professionnels ) et les émotions qui les traversent.

 

Un polar politique noir, amer et délicieusement désespéré.

Déçu par les promesses non tenues de mai 68, le groupe Nada, composé de six militants d'extrême gauche, décide de frapper un grand coup.
Après La princesse de sang, Doug Headline adapte Nada, un troisième scénario tiré de l’œuvre de son père, Jean-Pierre Manchette. Au crayon, Max Cabanes, au sommet de son art, nous immerge dans la folie de l’activisme et de la répression du début des années 70 en France.

Avec des parcours, des profils et des âges très disparates, ces écorchés vifs désespérés et paumés, ne forment pas un groupe uni. Pour autant, poussés par leur haine du système, ils sont bien décidés à tenter le tout pour le tout et d'enlever un diplomate américain en visite à Paris. Lâché sur leur piste, un commissaire ancien du S.A.C aux méthodes radicales, va mener une traque sanglante aux "anarchistes". Rien ne va se passer comme prévu et dès le début on sent que tout cela va mal finir...

Nada est une bande dessinée très dense où Doug Headline colle au plus près de ce polar politique écrit comme un manifeste contre l'action terroriste, avec des personnages complexes et des dialogues forts, découpés au scalpel.

Cabanes restitue avec une fidélité frappante le Paris des années 70. Avec des couleurs froides, il crée une ambiance glaçante et poisseuse. Pluie et brouillard sont omniprésents et renvoient à l'état psychologique des personnages. À coups de petits traits, il réalise des visages très expressifs et réalistes qui respirent l'urgence et le désespoir.